Le mot « Loi » n’est pas plaisant à entendre ! Il évoque la sévérité, le jugement. On parle de la rigueur des « hommes de loi » ou des condamnations que l’application de la loi entraine. Mais si personne ne souhaite avoir affaire à la loi, pouvons-nous pour autant vivre sans elle ? Je parle ici non pas de la loi qui ressortirait de la physique ou du jeu des forces naturelles, mais de la loi comme appartenant au domaine de la culture, celle qui permet aux êtres humains de vivre les uns avec les autres de la meilleure façon possible, ou de la moins mauvaise manière. En ce sens la loi serait comme un principe de vie, s’efforçant d’éloigner le chaos et d’éviter la loi du plus fort qui dévore le plus faible. Homo homini lupus est qui est parfois transcrit en : le pire ennemi de l’homme est l’homme.
La loi permet ainsi de poser un tiers extérieur dans les relations humaines : lorsque ça va mal, et qu’on a du mal à y voir clair entre deux personnes, la référence à la loi permet de rappeler ce qui a été posé à un moment donné, ce qui a été convenu avant, ailleurs par d’autres mais de fait aussi pour moi, ici et maintenant. Ce tiers extérieur permet de mettre un espace, une distance, de l’« autre » entre deux personnes ou entre deux groupes lorsque les mots manquent ou lorsque les deux n’arrivent plus à se rencontrer autrement que dans une destruction réciproque avec des discours inaudibles pour l’un ou pour l’autre.
Depuis le 7 octobre 2023, il est bien difficile de parler des actes terroristes et de la guerre à Gaza sans qu’aussitôt l’émotion l’emporte ou du moins les liens personnels, le vécu, l’histoire personnelle ou communautaire à laquelle je suis rattaché. Ainsi, en tant que protestant huguenot de l’Intérieur, je suis héritier de ce cousinage historique des « Juifs, Francs-maçons et Protestants » donc proche des Juifs. Et cette proximité est accentuée par le fait que je suis marié à une Allemande héritière de l’histoire de son pays au XXe siècle. Mais par ailleurs, avoir vécu une année en Palestine, notamment à Jérusalem-Est, me rend proche et solidaire des Palestiniens, notamment à Gaza.
La Rabbin Delphine Horvilleur, pour essayer de mettre des mots sur l’après 7 octobre (Comment ça va pas. Conversations après le 7 octobre. Grasset, 2024) parle alors de ses deux grands parents et de ses enfants rappelant que ce que vivent d’autres, loin me touche directement. Cherchant les mots elle écrit que « … le propre de la guerre est d’assassiner le langage, en même temps que les innocents et les subtilités. La modération devient mutique, et la radicalité crie à pleins poumons. On hurle des slogans et toutes les positions mesurées sont soudain prises en otage ». Les membres du conseil de la Fédération protestante de France ont longuement échangé sur le 7 octobre : nous avons alors fait l’expérience difficile et respectueuse des limites du langage, de l’entrechoquement des histoires, personnelles ou portées par les communautés auxquelles nous sommes rattachées, de l’exigence de « parler » avec le risque que « quoiqu’on dise ou qu’on ne dise pas, cela n’ira pas ». Ayant du mal à mettre des mots, c’est le rappel de … la loi qui permet alors de poser des mots, de rappeler des principes, des « interdits » en l’occurrence les conventions de Genève : https://www.icrc.org/fr/guerre-et-droit/traites-et-droit-coutumier/conventions-de-geneve.
Lorsqu’on est bloqué dans le langage et que les échanges indispensables sont trop chargés d’émotion et de mal-compréhension, alors c’est la loi, en tant que tiers extérieur, qui peut permettre de dire une parole, une loi qui a été fixée par d’autres, reconnues par les partenaires, les adversaires et qui même se rappelle aux belligérants.
Ainsi, la loi qui pose un « interdit » est comme ces inter-dits, ces dits entre deux personnes : une base commune qui reste stable y compris quand surgit la violence, et qui sert de référence pour rétablir le droit quand le temps du dialogue est venu.
À notre échelle, et toute proportion gardée, je trouve important de rappeler la loi aussi dans nos cultes comme le prévoit la liturgie : la loi est ce tiers extérieur qui rappelle cet espace essentiel de respect entre les hommes, et entre les hommes et Dieu.
Un exemple de loi est le décalogue, que nos traditions appellent « les 10 commandements ». Ils sont écrits en hébreu qui utilise ce temps particulier de l’ « inaccompli », le temps qui est entre présent et futur, entre exigence et protection, entre avertissement et promesse. Ces 10 paroles sont non pas des objets dans une belle vitrine d’un musée du passé mais des paroles d’une maison à construire. À travers leur épaisseur historique elles rappellent des orientations fondamentales dans la relation aux autres, et dans la relation à Dieu.
Voici ces dix paroles (Exode 20) dans une version liturgique :
Dieu dit « Je suis le SEIGNEUR ton Dieu.
C’est moi qui t’ai fait sortir d’Égypte, où tu étais esclave.
Tu n’auras pas d’autres dieux que moi.
Tu ne te feras pas d’image de Dieu.
Tu ne te mettras pas à genoux devant ces images
Tu n’utiliseras pas mon nom n’importe comment.
Pendant six jours, tu travailleras pour faire tout ce que tu as à faire.
Mais le septième jour, c’est le sabbat : personne ne doit travailler ce jour-là,
Tu honoreras ton père et ta mère.
Tu ne tueras pas.
Tu ne commettras pas d’adultère.
Tu ne voleras pas.
Tu ne témoigneras pas faussement contre ton prochain.
Tu ne convoiteras pas ce qui appartient à ton prochain.
Dix paroles pour aider à poser des mots sur nos relations et servir de référence aux comportements des uns avec les autres, en stimulant la conscience et en élargissant son interprétation aux situations où nous vivons.
Pasteur Pierre Magne de la Croix
Vice-président de l’UEPAL