La création d’une Compagnie Nationale des Mines a placé discrètement à l’agenda de nos sociétés une question qui n’a rien à voir avec le capitalisme du XIXème siècle. Il s’agit au contraire d’une vraie question, inédite et urgente. Dans sa relation à la planète, l’humanité est en effet parvenue à un tournant : en même temps qu’elle prend conscience des limites des ressources naturelles et des impacts majeurs qu’entraine leur usage, notamment sur le climat, elle doit se doter des instruments de mesure et de gouvernance nécessaires pour assurer la transition qui s’impose.
Les années de croissance forte dont nous avons bénéficié sont certes dues à des progrès scientifiques et technologiques majeurs, à un incessant ajustement entre les formes de travail productif et les nouveaux besoins de consommation. Mais elles sont aussi liées au bénéfice que nous avons pu tirer de l’exploitation planétaire des ressources énergétiques fossiles, notamment pétrolières. On a brulé 160 milliards de tonnes de charbon et 155 milliards de tonnes de pétrole. L’humanité brûle encore chaque année 10 milliards de tonnes de carbone. Et il faudra bien que les populations de la Chine et des autres pays émergents puissent bénéficier des mêmes avantages que nous ! Or ces ressources, payées à un prix qui n’a rien à voir avec leur rareté réelle car dépendant du seul rapport instantané entre la demande et la production, ont pu être consommées jusqu’à la moitié, au bénéfice d’une seule génération, la nôtre.
Mais il n’y a pas que la crise des ressources énergétiques fossiles : se profile par derrière elle un crise des ressources minérales et minières. La délocalisation massive et accélérée depuis 20 ans de l’activité de production matérielle des « pays du nord » vers la Chine et les nouveaux pays industrialisés a bénéficié des prix bas non seulement de la main d’œuvre, mais aussi de ces matières premières. Elle a induit une consommation accrue de ces ressources dans ces pays, qui ont exploité leur propre sous-sol sans toujours mesurer ni l’épuisement des réserves, ni l’impact sur l’environnement. En prise à une croissance à deux chiffres, devenus à leur tour massivement importateurs, leur demande s’est heurtée à une capacité insuffisante de production. Nous voici donc avec une question lancinante : cette crise est-elle due à des investissements insuffisants en exploration production, où à une réelle limitation physique des ressources du sous-sol ? Pour le pétrole, on approche du consensus : au mieux on plafonne, et l’on sait qu’on n’augmentera plus significativement la production ! Pour les autres ressources minérales, les perspectives restent à préciser, mais quoi qu’il en soit le système entier a été touché dans son rêve de croissance infinie.
C’est aussi qu’on avait cru plus profitable d’investir dans l’économie immatérielle que dans l’économie réelle. Cette curieuse approche s’est généralisée au point que même les entreprises spécialisées dans la recherche minière n’avaient plus aucun intérêt à investir dans la production matérielle : il était devenu beaucoup plus attrayant d’acheter des actions que d’investir dans la production. Au cours des vingt dernières années, les investissements en exploration minière ont été excessivement faibles. Les compagnies n’ont plus recruté de personnels compétents. Du coup, même les universités et les écoles d’ingénieurs ont cessé de produire des personnes capables de découvrir de nouvelles ressources. Aujourd’hui, la ressource humaine est venue à manquer au point que l’on confonde manque de ressources naturelles et déficit de recherche et prospective — le relatif mépris dans lequel se trouve reléguée la recherche scientifique aujourd’hui trop souvent contestée par les lobbies économiques ajoute à ce déficit.
Comment sortir de cette logique de rentabilité immédiate qui ressemble de plus en plus à une politique de l’autruche ? On voit bien que les prix des produits ne reflètent pas la réalité de la rareté physique de la ressource. Il serait nécessaire de parvenir à établir un système économique qui soit basé sur la valeur réelle des ressources minérales et énergétiques, c’est-à-dire de leurs raretés physiques respectives. Or cette approche n’est pas hors de portée. Dans le domaine climatique, on est parvenu — grâce aux travaux du Groupe International d’Etude du Climat (GIEC) — à se doter d’une vision globale. Nous savons depuis le début des années 1980, grâce aux travaux du GIEC, que l’exploitation des énergies fossiles a un impact direct sur le climat, à moyen et long terme, se traduisant par une augmentation moyenne des températures, la fusion des glaces, la remontée des niveaux marins et le développement des phénomènes climatiques extrêmes. Nous savons aussi l’urgence de la réorientation de nos recherches technologiques quant on mesure l’importance des bouleversements en cours. De la même façon, en matière de ressources minières, dans l’état actuel de développement des connaissances et des capacités d’échanges entre scientifiques (qu’ils se trouvent dans la recherche publique, dans les entreprises ou les administrations) il n’y a pas de raison de ne pas parvenir à fédérer un réseau-observatoire, capable de quantifier les réserves, de préciser les raretés relatives, et partant, de contribuer à établir une valeur de ces biens qui ne soit pas seulement déterminée par des échanges de court terme, mais sur des perspectives établies à long termes, sur plusieurs générations.
Un tel GIERM (Groupe International d’Etude des Ressources Minérales) viendrait compléter les travaux du GIEC et assister les instances multilatérales chargées de publier ces données, de telle sorte que le marché de court terme ne soit plus le seul à déterminer les prix. Introduire la valeur de rareté et d’épuisement des ressources n’est désormais pas un luxe, mais simplement une question de réalisme, si l’humanité, occupée à ses bulles spéculatives, veut ne pas se heurter frontalement, à l’aveugle, au mur de la rareté. Nous ne sommes pas naïfs : rien n’indique qu’un organisme international de régulation des ressources puisse aisément s’imposer dans l’agenda des Etats et des industries, qui préfèrent encore préparer les guerres pour le contrôle des ressources plutôt que d’envisager un tel bouleversement de nos modes de vie. Chaque acteur, chaque Etat, chaque grande compagnie, préfère organiser l’opacité autour de ses réserves et de ses manques réels à terme. Nos sociétés sont en effet sous l’emprise de véritables addictions, d’habitudes de déplacement et de consommation, en même temps que de cloisonnements nationalistes qui nous rendent capables du pire.
C’est pourquoi, au-delà de ces propositions, on voit bien que la crise des ressources qui se profile est en fin de compte l’expression d’une crise d’orientation globale de nos sociétés, incapables de sortir de leurs vieux réflexes et d’investir largement vers l’avenir. Créer une Compagnie Nationale des Mines, est-ce vraiment la réponse quand il faudrait déployer cette démarche à l’échelle de la planète si l’on prend au sérieux l’interdépendance générée par la mondialisation, et la vulnérabilité des humains à l’épuisement de leur planète ? La vraie naïveté, pour chacun de ces acteurs, n’est-elle pas de croire possible de se sauver tout seul ?
Jacques Varet (SARL Géo2D, ancien directeur de la prospective au BRGM)
et Olivier Abel (Professeur de philosophie à l’Institut Protestant de Théologie)
La crise des ressources minières et l’appel à la constitution d’un GIERM
La compétition des grands Empires (Chine, USA, Russie, Europe, etc.) et des grandes compagnies pour l’appropriation des ressources minières bat son plein, cependant que les populations sont chassées de leurs pays par des bandes armées qui organisent le chaos, pour mieux exploiter les sous-sols.
C’est notamment le cas au Kivu, dans le sud et l’est de la République Démocratique du Congo : des régions entières ont été vidées de leurs populations par le viol systématique des femmes, qui détruit les familles, et jette sur les routes des enfants qui seront enrôlés dans les bandes armées, ou dans le travail des mines.
Ces minerais, nous en avons besoin : le cobalt pour les batteries électriques de notre transition écologique, le tantale du coltan pour nos téléphones portables et nos ordinateurs, l’or, le tungstène, etc. Il semblerait que la RDC dispose des deux tiers des réserves mondiales de cobalt, et que 90% du coltan exporté par le Rwanda voisin provienne en fait de ressources pillées en RDC, sans servir au développement de la région. Aujourd’hui, deux millions de réfugiés s’amassent autour de Goma (nord-Kivu), où se développent des épidémies inédites, potentiellement terribles.
Dans cette situation désastreuse, les Églises sont souvent les seules à porter les institutions scolaires et sanitaires, comme des vieux bateaux surchargés. Elles ont besoin non seulement du soutien des Églises sœurs, mais de celui de toutes les institutions démocratiques et d’entraide de la vieille Europe, dans la mesure où celles-ci peuvent lever le nez de leurs propres urgences, et comprendre que ce qui se passe là-bas nous concerne tous, que nous y sommes de toute façon impliqués.
En quelques générations nous aurons consommé la majeure partie des ressources disponibles, sans nous préoccuper ni des humains du lendemain, ni des humains lointains qui sont écrasés par cette situation. Comment sortir de cette logique de rentabilité immédiate qui ressemble de plus en plus à une politique de l’autruche ? On voit bien que les prix des ressources minérales et minières ne reflètent pas la réalité de leur rareté physique. Il serait nécessaire de parvenir à établir un système économique qui soit basé sur cette valeur réelle.
Or cette approche n’est pas hors de portée. Dans le domaine climatique, on est parvenu, grâce au GIEC, à se doter d’une vision globale. De la même façon, en matière de ressources minières, dans l’état actuel de développement des connaissances et des capacités d’échanges entre scientifiques (qu’ils se trouvent dans la recherche publique, dans les entreprises ou les administrations) il n’y a pas de raison de ne pas parvenir à fédérer un réseau-observatoire, capable de quantifier les réserves, de préciser les raretés relatives, et de contribuer à établir une valeur de ces biens qui ne soit pas seulement déterminée par des échanges de court terme, mais sur des perspectives établies à long terme, sur plusieurs générations, et tournée d’abord au bénéfice des populations concernées.
Un tel GIERM (Groupe International d’Étude des Ressources Minérales) viendrait compléter les travaux du GIEC et introduire une valeur de rareté et d’épuisement des ressources, qui n’est désormais pas un luxe, mais une question de réalisme, face aux guerres qui se développent pour les dernières ressources. Mais chaque acteur, chaque Etat, chaque grande compagnie, préfère organiser l’opacité autour de ses réserves et de ses projets, et nos sociétés sont en effet sous l’emprise de véritables addictions, d’habitudes de consommation, de déplacement et de communication.
À leur mesure, les Églises peuvent contribuer à développer l’embryon d’un tel réseau international et appeler à la conscience planétaire de nos limites. C’est pourquoi, à l’échelon européen, nous appelons les organismes de coopération et d’entraide de nos Églises, mais aussi nos Faculté de Théologie à constituer un réseau de recherche capable de venir en renfort des institutions semblables dans les pays concernés, qui sont au bord de l’asphyxie.
Et nous appelons à organiser, à Goma ou à Bukavu, au cœur d’une région qui depuis des décennies souffre de cette spirale de pillage sans lendemain, une conférence internationale et interdisciplinaire destinée à sensibiliser tous les acteurs internationaux, et à jeter les bases d’un tel GIERM.