L’historien Jules Michelet (1798 – 1874) voit les prémices des principes républicains dans l’organisation des églises protestantes, par exemple dans l’importance des assemblées où les décisions sont prises à la majorité ; ou aussi dans le fait que les aspirations des délégués aient vocation à se transformer en orientations officielles, ou encore dans la désacralisation protestante de toute forme de pouvoir. Cela pouvait inquiéter aux temps de la Réforme, d’autant plus qu’un des pays acquis à ce protestantisme d’assemblées était une république, celle des Provinces-Unies. Rappelons que la polémique antiprotestante classique voyait dans la lecture et l’interprétation personnelle de la Bible comme une remise en cause des hiérarchies établies.
La réalité historique conduit bien sûr à nuancer : aucun système n’est garant de la démocratie, « le tyran peut s’incarner dans une seule personne comme dans le peuple » ou dans des réseaux sociaux (cf. le point 1.3.3 pages 3 du Message au Synode du président Pierre Magne de la Croix). Et s’ils ont été souvent accusés d’être des démocrates avant la Révolution, les Protestants de l’ « Intérieur » n’ont jamais totalement remis en cause le pouvoir du roi catholique. Les protestants seraient des « … anarchistes qui respectent les feux rouges » parce qu’il en va aussi des autres et de vivre ensemble sans se détruire.
En Romains 13, l’Apôtre Paul présente ce « vivre ensemble en société » en 3 étapes :
1. La « soumission » aux pouvoirs publics qui est d’abord le respect des lois et règles (versets 1-7). Rappelons que Paul est un citoyen romain qui écrit à la communauté de Rome, laquelle se doit de se montrer fiable et exemplaire vis-à-vis du pouvoir romain. Un de mes professeurs de théologie disait : « l’amour du prochain commence par le paiement des impôts » Et comme si Paul souhaitait mettre un bémol à cette tradition romaine de soumission, il souligne la recherche du « bien commun » et l’appel à la conscience pour apprécier cela !
2. Puis Paul (versets 8-10) pose la question du « sens » du pouvoir, de ce à quoi et à qui ça sert. Pour cela il cite quatre paroles du décalogue : « ne pas tricher avec le conjoint, ne pas tuer, ne pas voler, de pas convoiter ». En revisitant certains fondements, il s’agit de voir et de percevoir comment nous les habitons et comment nous leur donnons chair et réalité dans nos relations aux autres, y compris en société. Ainsi cette affirmation : « …s’arrêter aux feux rouges » ?
3. Paul fait enfin (versets 11-14) référence à Jésus-Christ pour relativiser le pouvoir qui n’apporte ni la vérité, ni le salut ! C’est contester toute autorité, institution, idéologie, mouvement, qui prétendrait être une Vérité universelle, infaillible ou ce qui prétendrait apporter le salut au monde, le salut ou les solutions, l’avenir, la vérité. Et c’est comme si, par Jésus-Christ, chaque croyant devenait une autorité, un exemple, un guide, quelqu’un qui a autorité par sa vie, son comportement.
Les Protestants sont plutôt des républicains que des démocrates ? Car, pour poursuivre dans la nuance, je rappellerais qu’en protestantisme on ne représente pas aveuglément un groupe mais on se détermine, on vote en conscience : le député protestant est un « délégué » ou un « fondé de pouvoir », choisi pour sa sagesse et sa compétence, à qui on demande de se prononcer pour ce qu’il juge être le bien commun ou général et non de suivre le désir de ses électeurs. Cf. André Gounelle : http://andregounelle.fr/eglise/eglise-communaute-et-democratie-un-point-de-vue-protestant.php
Les protestants seraient-ils alors aussi des républicains en conseil presbytéral ?
Ce conseil, qui n’est pas qu’un rouage administratif, permet de structurer la vie commune. Il est surtout un lieu de responsabilité spirituelle pour l’élaboration permanente du consensus de la foi et l’expression concrète de la communion ; le conseil est alors ce lieu où se confrontent les convictions diverses et où se construisent les convictions communes. Cette responsabilité spirituelle (et républicaine !) s’appuie sur 4 caractéristiques :
- la confiance envers celles et ceux que l’on a discernés et appelés pour assumer cette charge et à qui on a « confié » cette responsabilité. Confiance qu’ils sauront être attentifs à tous, discrets dans leurs propos et leurs débats internes. Cette charge qu’ils exercent à l’écoute de celles et ceux qui les ont désignés, c’est toujours dans l’écoute de la Parole qu’ils chercheront à se déterminer ;
- le discernement qui amène à choisir des personnes en fonction de leurs compétences, de leurs charismes, de leurs engagements. La communauté les appelle parce qu’elle les croit capables d’assumer ce ministère de conseillers. Ce n’est donc ni une dignité, ni un honneur, mais un service qui suppose disponibilité, discrétion et ouverture aux autres. Le discernement sera aussi celui du conseil : viser la fidélité à l’Évangile et rechercher le bien commun.
- la collégialité s’exerce d’autant mieux que le conseil tend à être lui-même une communauté dont les membres se connaissent et s’estiment, se respectent et ont du plaisir à se retrouver et à travailler ensemble. Il sera important que chacune chacun puisse s’exprimer sans se sentir jugé ou écarté. Ne pas éviter d’avoir des débats de fond lorsqu’ils s’imposent afin d’assumer les différences voire les différends et grandir ainsi dans le respect. Si le consensus n’est pas possible, la majorité veillera à respecter la minorité.
- la solidarité entre conseillers lorsque des décisions ou des orientations auront été prises. La collégialité et la solidarité sont les conditions pour une parole libre en conseil. Solidarité avec l’Église régionale et au-delà : un conseil presbytéral est à la charnière entre la communauté locale et l’universel, c’est-à-dire sur tout ce avec quoi l’Église est en solidarité.
Tous mes vœux aux nouveaux conseillers,
Pasteur Pierre Magne de la Croix