Une soif de réformes
Dans l’Alsace du XVIe siècle, le message du moine Martin Luther a trouvé très tôt un écho favorable. Irrités par la vie de certains religieux et par le fonctionnement de l’Église, mais animés par une réelle soif religieuse, bien des laïcs et des ecclésiastiques lisent avec intérêt les premiers écrits de Luther. À partir de 1521, la majorité, illettrée, entend les prédicateurs ralliés au mouvement de retour à l’Évangile, tels que Matthieu Zell, Martin Bucer et Wolfgang Capiton à Strasbourg, rejoints par Jean Calvin entre 1538 et 1541. Mulhouse allait suivre. Dans la région de Metz aussi des membres du clergé, des intellectuels et des familles patriciennes adhèrent au mouvement. Tout au long du XVIe siècle, les seigneurs, tels les comtes de Hanau-Lichtenberg et les ducs palatins de Deux-Ponts, ainsi que plusieurs villes, s’engagent dans le camp réformateur. À la fin du XVIe siècle, malgré la résistance de l’évêque de Strasbourg, des Habsbourg dans le sud de l’Alsace et de théologiens comme Thomas Murner, un tiers de l’Alsace est devenue protestante.
Ce qui change
C’est d’abord le contenu du message transmis par la prédication et par le catéchisme. Les prédicateurs protestants reprennent les confessions de foi des premiers siècles et se fondent avant tout sur la Bible. Avec Luther, ils insistent sur le salut par la grâce seule, sur l’autorité de la Bible, sur la dignité de tous les croyants. Avec l’aide des autorités civiles, des Églises d’un nouveau type sont mises en place. Des pasteurs mariés et soumis à la juridiction civile y sont à l’œuvre. À Strasbourg, la plupart des couvents sont dissous. La célébration du culte se fait désormais dans la langue du peuple et non plus en latin. À côté de la prédication, le chant communautaire y occupe une place particulière. Seuls deux sacrements subsistent : le baptême et la sainte cène (pain et vin étant donnés à tous). Les vigiles et les messes pour les morts disparaissent.
Bien des rites traditionnels font place à un culte simplifié. L’instruction catéchétique est valorisée. Des institutions nouvelles voient le jour, telles que le tribunal matrimonial à Strasbourg ou des synodes.
Un mouvement traversé de courants
Certains adeptes du mouvement de retour à l’Évangile veulent aller encore plus loin. Ainsi les anabaptistes, nombreux dans les années 1520 à rejoindre Strasbourg, veulent abolir le baptême des enfants, créer des communautés de chrétiens professants dont les membres ne devaient pas porter les armes. D’autres, plus révolutionnaires, veulent instaurer par la force une sorte d’État religieux. Enfin, pour certains, le message de Luther ouvre la porte à un christianisme sans Église. Les réformateurs tels que Luther, Bucer et Calvin résistent à ces tendances. Ils conservent le baptême des enfants ; ils maintiennent une Église visible, refusent de faire le tri entre les croyants authentiques et les autres, et proclament la nécessité pour les chrétiens de servir le prochain au sein de la société.
Martin Bucer, réformateur alsacien
Martin Bucer, le principal réformateur alsacien, est à la fois marqué par l’apport humaniste et la lecture des textes de Luther. Bucer se singularise par son engagement passionné au service de l’unité de l’Église, entre les protestants d’abord, mais aussi avec les théologiens de l’Église catholique. Il est le père de la confirmation protestante, mise en place vers 1540. En réaction aux faiblesses de l’Église multitudiniste, il crée à l’intérieur des paroisses des petits cercles de professants, les Christliche Gemeinschaften, préfiguration des « ecclésioles* » mises en place par l’Alsacien Spener, le père du piétisme allemand au XVIIe siècle. Le souci de l’instruction conduit à la réorganisation des écoles et à des créations dont la plus célèbre sera en 1538 le Gymnase, à l’origine de l’Université de Strasbourg. Par une quarantaine de voyages, de nombreux contacts personnels et d’avis écrits, Bucer a exercé une grande influence sur la Réforme en Suisse, en Hesse, dans le sud de l’Allemagne, en Angleterre, auprès des Frères tchèques et des Vaudois.
Des particularités et des initiatives remarquables
L’Alsace protestante et la ville de Metz accueillent à plusieurs reprises des réfugiés, persécutés en France et ailleurs à cause de leur foi. Pour un temps, les autorités manifestent une certaine tolérance vis-à-vis des dissidents tels que les anabaptistes, dont aucun ne fut exécuté à cause de sa foi. Une certaine ouverture envers les juifs, plus nombreux en Alsace que dans le royaume de France, est perceptible.
Dans la seconde moitié du siècle, un luthéranisme orthodoxe, marqué par la Confession d’Augsbourg, s’est imposé dans les quatre cinquièmes du protestantisme alsacien. Par contre Metz, Mulhouse, Sainte-Marie-aux Mines et Bischwiller s’orientent vers un protestantisme réformé, fidèle à Calvin.
Lire plus loin…
Blogs
Journal d’un pasteur concordataire :
- Brève histoire du protestantisme concordataire
- Chronologie du protestantisme en Alsace-Moselle de 1802 à 2017
- Chronologie du protestantisme en Alsace-Moselle de 1518 à 1793
Livres
- Marc Lienhard, Foi et Vie des Protestants d’Alsace, StrasbourgWettolsheim/Colmar, Oberlin-Mars et Mercure, 1981
- Martin Greschat, Martin Bucer (1491-1551). Un Réformateur et son temps, Paris, PUF, 1990
- Henri Strohl, Le Protestantisme en Alsace, 1950, 2e édition, Strasbourg, Oberlin, 2000
- Antoine Pfeiffer (dir.), Protestants d’Alsace et de Moselle. Lieux de mémoire et de vie, Strasbourg, Oberlin-SAEP, 2000
- Marc Feix, Marc Lienhard, Klaus Bümlein, Barbara Henze, Franchir les frontières, Histoire des Églises du Rhin supérieur, Strasbourg, Éditions du Signe, 2015