Après une année de guerre continue et alors que le cycle de la mort se poursuit sans relâche, nous ressentons le besoin, comme chrétiens et comme citoyens, de retrouver l’espérance qui vient de notre foi. Tout d’abord, nous devons admettre que nous sommes épuisés, paralysés par le chagrin et la peur. L’horizon est on ne peut plus noir à nos yeux. Toute la région est en proie à un bain de sang qui ne cesse de s’intensifier et qui n’épargne personne. Sous nos yeux, notre bien-aimée Terre Sainte et toute la région sont réduites à l’état de ruines.
Chaque jour, nous pleurons les dizaines de milliers d’hommes, de femmes et d’enfants qui ont été tués ou blessés, à Gaza surtout mais aussi en Cisjordanie, en Israël, au Liban, et plus loin encore en Syrie, au Yémen, en Irak et en Iran. Nous sommes indignés par la dévastation causée sur toute la région. À Gaza, les maisons, les écoles, les hôpitaux et des quartiers entiers sont maintenant réduits à des tas de décombres. C’est le règne de la maladie, de la famine et du désespoir. Est-ce cela l’avenir de notre région ?
Tout autour de nous, l’économie est en ruine. Plus moyen de trouver du travail. Et les familles ont du mal à mettre de quoi manger sur la table. En Israël aussi, trop nombreux sont ceux qui sont en deuil et qui vivent dans l’anxiété et dans la peur. Cela ne peut pas continuer ainsi.
Ce n’est pas le 7 octobre 2023 que notre catastrophe a commencé. Les cycles de violence ont été sans fin. Ils ont commencé dès 1917, culminé en 1948 et en 1967, et ils se poursuivent depuis, jusqu’à aujourd’hui. Mais aujourd’hui, le rêve sioniste d’un foyer sûr pour les Juifs dans un État juif appelé Israël a-t-il apporté la sécurité aux Juifs ? Et les Palestiniens ?? C’est depuis trop longtemps qu’ils doivent affronter la réalité de la mort et de l’exil et de l’abandon. Depuis trop longtemps qu’ils attendent et demandent avec persistance le droit de pouvoir rester sur leur terre, dans leurs villes et dans leurs villages.
Il est choquant de constater que la communauté internationale porte sur tout cela un regard quasi impassible. Les appels au cessez-le-feu et à mettre fin à la dévastation sont répétés, mais sans aucune tentative réelle de freiner ceux qui font des ravages. Les armes de destruction massive et les moyens de commettre des crimes contre l’humanité ne cessent d’affluer dans la région.
Et alors que tout cela se poursuit, les questions fusent : Quand donc cela va-t-il se terminer ? Combien de temps encore pourrons-nous survivre ainsi ? Quel avenir auront nos enfants ? Et nous, devrons-nous émigrer ?
Comme chrétiens, nous sommes confrontés à d’autres dilemmes encore : Est-ce là une guerre dans laquelle nous sommes simplement appelés à être des spectateurs passifs ? Où est notre place dans ce conflit, qui est trop souvent présenté comme une lutte entre Juifs et Musulmans, entre Israël d’un côté et le Hamas et le Hezbollah soutenus par l’Iran de l’autre ? Est-ce une guerre de religion ? Devrions-nous nous isoler dans la précaire sécurité de nos communautés chrétiennes ? Nous isoler de ce qui se passe autour de nous ? Devons-nous nous contenter de simplement regarder et prier, juste entre nous, dans l’espoir que cette guerre finira bien un jour ?
La réponse est un NON catégorique. Il ne s’agit PAS d’une guerre de religion. Et nous avons à prendre parti ACTIVEMENT : du côté de la justice et de la paix. De la liberté et de l’égalité. Nous avons à être aux côtés de tous ceux, musulmans, juifs et chrétiens, qui cherchent à mettre fin à la mort et à la destruction.
Nous faisons ce choix parce que nous croyons en un Dieu vivant, et parce que nous sommes convaincus que nous devons construire un avenir ensemble. Même si notre communauté chrétienne est petite, Jésus nous rappelle que notre présence est puissante. Confiants en sa résurrection, nous sommes appelés à être comme du levain dans la pâte de la société. À travers nos prières, notre solidarité, notre service et notre espérance vivante, nous avons à encourager tous ceux qui nous entourent, quelle que soit leur religion ou sans religion, pour trouver ensemble la force de nous relever de notre épuisement collectif et pour aller de l’avant.
Mais aucun d’entre nous ne peut y parvenir seul. Nous nous tournons vers les dirigeants de nos communautés chrétiennes, vers nos évêques et nos prêtres pour recevoir d’eux des paroles qui pourront nous guider. Nous avons besoin de nos bergers pour nous aider à discerner la force que
nous avons quand nous sommes ensemble. Seul, chacun d’entre nous se trouve isolé et réduit au silence. Ce n’est qu’ensemble que nous pourrons trouver les ressources pour relever les défis.
Dans notre épuisement et notre désespoir, souvenons-nous de l’homme paralysé (Mc 2, 1-12) qui ne pouvait pas se lever. Ce n’est que lorsque ses amis l’ont porté et que leur imagination les a conduits à faire un trou dans le toit pour le descendre sur sa natte qu’il a pu arriver aux pieds de Jésus …qui lui a dit : « Lève-toi et marche ».
Il en est de même pour nous : Nous devons nous porter les uns les autres si nous voulons aller de l’avant. Nous devons utiliser notre imagination enracinée dans le Christ pour trouver des ouvertures là où il semble n’y en avoir aucune. Lorsque nous avons atteint les limites de notre espérance, nous pouvons tous nous porter les uns les autres, en nous tournant vers Dieu et en demandant son aide.
Nous avons besoin de cette aide pour ne pas désespérer et ne pas tomber dans le piège de la haine. Notre foi en la Résurrection nous enseigne que tous les êtres humains doivent être aimés, car ils sont tous égaux et créés à l’image de Dieu, ils sont tous enfants de Dieu et frères et soeurs les uns des autres. Notre foi en la dignité de chaque personne humaine se manifeste dans le service que nous rendons à la communauté au sens large. Nos écoles, nos hôpitaux et nos services sociaux sont des lieux où nous prenons soin de tous ceux qui sont dans le besoin, sans aucune distinction.
C’est notre foi aussi qui nous pousse à dire la vérité et à nous opposer à l’injustice. Nous croyons en une paix que Jésus nous a donnée et qui ne peut pas nous être enlevée. « C’est lui qui est notre paix » (Éphésiens 2,14). Nous ne devons pas avoir peur de dénoncer toute forme de violence, de meurtre et de déshumanisation. Notre foi fait de nous les porte-parole d’une terre sans murs et sans discrimination, les porte-parole d’une terre d’égalité et de liberté pour tous, et d’un avenir dans lequel nous vivrons tous ensemble.
Nous ne connaîtrons la paix que lorsque la tragédie du peuple palestinien aura pris fin. Ce n’est qu’alors que les Israéliens jouiront de la sécurité. Nous avons besoin d’un accord de paix définitif entre ces deux partenaires, et non de cessez-le-feu temporaires ou de solutions provisoires. La force militaire massive d’Israël peut détruire et semer la mort, elle peut éliminer les dirigeants politiques et militaires et tous ceux qui osent se lever et s’opposer à l’occupation et à la discrimination. Mais elle ne peut pas apporter la sécurité dont les Israéliens ont besoin. La communauté internationale doit nous aider en reconnaissant que la cause profonde de cette guerre est la négation du droit du peuple palestinien de vivre sur sa terre, dans la liberté et l’égalité.
Un avenir pacifique dépend d’un vivre ensemble qui dépassera les limites de notre propre communauté. Chrétiens et musulmans, nous sommes tous un seul peuple. C’est ensemble que nous devons chercher le moyen de sortir des cycles de violence. Et c’est ensemble aussi que nous devons nous engager avec ces Israéliens juifs qui sont, eux aussi, fatigués de la rhétorique et des mensonges et des idéologies de mort et de destruction.
Mettons-nous donc en route et portons-nous les uns les autres. Gardons l’espérance vivante, dans la conviction que la paix est possible. Ce sera difficile certes, mais nous nous souvenons qu’il fut un temps où, musulmans, juifs et chrétiens, nous avons vécu ensemble sur cette terre. Il y aura bien des moments encore où le chemin semblera bloqué. Mais ensemble nous pourrons construire un chemin vers l’avenir, un chemin enraciné dans l’espérance de Dieu, et « L’espérance ne trompe pas » (Romains 5,5). Notre espérance est en Dieu, elle est en nous-mêmes, et en chaque être humain à qui Dieu accorde une part de sa bonté.
7 octobre 2024
Garder l’espoir vivant
Réflexion chrétienne de Jérusalem par sa Béatitude le Patriarche Michel Sabbah et les membres de la Réflexion chrétienne de Jérusalem.
Traduit par les Amis de Sabeel France.
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