Nous venons de fêter la Réformation, occasion de rappeler comment le protestantisme vit la foi.
En septembre 2024, j’en rappelai trois éléments :
- La confiance reçue et partagé
- L’engagement public
- la culture du compromis
Et notre protestantisme en France exerce une sorte d’attrait : on lui reconnait un esprit d’ouverture, une capacité de dialoguer avec la culture contemporaine, une éthique construite qui articule une liberté de parole avec des apports critiques, un sens des responsabilités, des propositions pragmatiques. Notre protestantisme est perçu comme non clérical, peu attaché à la célébration de mystères ou de vérités à défendre, mais comme une tradition religieuse soucieuse de la vie humaine, de la justice ; un protestantisme du coup engagé dans l’action éducative, sociale et culturelle.
J’en partage trois illustrations :
Dans sa réflexion sur l’Église et sa mission, l’EPUdF a proposé des grains à moudre :
- Dans une société qui attend peu de l’Église, dans un monde sécularisé où l’Église n’est plus l’organisme qui accomplit la fonction religieuse de la société, mais qui révèle une recherche spirituelle aux multiples facettes, notre mission est d’être une Église de la rencontre. Dieu s’y rencontre – sans jamais être saisi – dans la personne du Jésus des évangiles.
- Dans un monde nomade – idéologiquement, spirituellement et socialement disloqué – l’Église minoritaire, fragile et disséminée, a vocation d’ensemencement … « on ne nait pas chrétien, on le devient», le christianisme est dabord une culture avant d’être une foi
- Face au primat de l’émotion et de la subjectivité, la mission de l’Église est de garder le recul de la raison critique et le silence intérieur, d’où peut émerger une humble parole de Dieu pour aujourd’hui.
- Face aux religions, séculières ou non, qui mettent le bonheur sous condition, notre mission est d’être une Église qui affirme le don gratuit de la Grâce, de l’accueil, et invite à la gratitude.
- Dans un monde religieusement morcelé et une société parfois agressivement plurielle, la mission de l’Église est de (se) rappeler qu’on ne rencontre jamais une religion mais des femmes et des hommes créés à l’image et à la ressemblance de Dieu. Avec lesquels, autant que cela dépende de nous, il s’agit de construire des espaces de vie et de dialogue.
Des tensions ou articulations heureuses
Une personne non protestante me disait : « vous les protestants, vous êtes des joyeux dramatiques. Joyeux car toujours heureux, dans l’humour, voire parfois l’ironie, avec un grand détachement spirituel : vous n’avez rien à prouver, rien à justifier, rien à gagner, aucun salut à acquérir. Et en même temps (!) vous êtes dramatiquement préoccupés par l’état du monde comme si tout dépendait de vos engagements, de votre « responsabilité ». ».
Cette tension entre d’un côté un total détachement sur le salut, une insouciance bienheureuse et confiante de la grâce et, d’un autre côté, cette responsabilité humaine pour le monde est juste. Insouciance de la grâce et responsabilité humaine : les joyeux dramatiques !
Cela évoque d’autres tensions : les protestants seraient des gens fiers et humbles, fiers de ce que nous sommes, de ce que nous avons reçu et humbles lorsque nous voyons nos erreurs et nos fragilités. On dit aussi, classiquement, que les protestants sont des anarchistes qui respectent les feux rouges ou qui traversent dans les clous : toujours à protester, contester, critiquer, remettre en question et en même temps dans le grand respect des règles de vie commune pour faire attention aux plus fragiles, aux plus petits et permettre ainsi la vie collective.
Et la tension classique pécheur et justifié : non conforme, non ajusté, non correspondant à ce que Dieu attend et espère de nous et – en même temps- considéré comme tels et accueillis comme tels, dégagés du souci de plaire et de correspondre à un modèle.
Une spiritualité fondée sur la réalité de nos vies
Ce joyeux dramatisme s’incarne de manière particulière chez Esther Duflo, prix Nobel d’économie, invitée à la pastorale EPUdF – UEPAL en mai dernier. Ses recherches et ses engagements rappellent combien le protestantisme souhaite vivre une spiritualité qui soit fondée sur la réalité de nos vies, basée sur l’engagement concret. Ce qu’elle écrit sur l’économie peut résonner comme une parole sur la vie d’Église :
« … il se trouve que les questions de politique économique impliquent souvent une bonne part de plomberie : les grandes idées, les réformes structurelles, attirent peut-être plus les hommes et les femmes politiques, et également nombre de leurs conseillers (y compris les économistes), mais, dès lors qu’il est question de mettre en œuvre une politique sur le terrain, les questions et les détails pratiques se multiplient, et ce sont ces détails qui peuvent faire la différence entre un succès et un échec »
Esther Duflo
Mes visites et mes rencontres en tant que président du conseil synodal m’ont conforté dans cette nécessité de la « plomberie » aussi en Église. Ce dont nous avons besoin n’est pas dans les grandes idées, ou des idées neuves, géniales, étonnantes, ou de nouvelles structures, des refondations mais nous avons besoin de mettre simplement en pratique, de cultiver, d’entretenir, de développer, d’amplifier ce que nous sommes. De la plomberie, du bon sens de praticiens, des « plombiers qualifiés ».
« La foi, la théologie naissent quand l’Église fait face à de nouvelles questions parce qu’elle est capable de s’exposer » (Käsemann).