À l’heure où j’écris, nous sommes tous pétrifiés par les images qui nous parviennent de Syrie ou de Turquie, après le terrible tremblement de terre qui a affecté ces régions. Un nouveau malheur qui s’abat sur des populations déjà durement touchées par la guerre et la crise économique qui en résulte. Cela donne envie de crier et de se révolter : Pourquoi le malheur s’ajoute-t-il sans cesse au malheur ? Dieu, réveille-toi ! Fais quelque chose ! C’est le cri du Psalmiste qui traverse le psautier de part en part. On pourrait citer des dizaines de passages, par exemple les versets 7 et 8 du Psaume 88 : « Tu m’as mis tout au fond du gouffre, dans l’obscurité profonde. Ta fureur s’est abattue sur moi en vagues dont tu m’accables ». On pense évidemment aussi à Job qui entre en contestation et en débat avec Dieu à cause des malheurs qui l’accablent sans raison.
La Bible tout entière témoigne de ce « corps à corps », on pourrait aussi dire de ce « corps à cœur » de l’être humain avec Dieu. Le Premier Testament en donne déjà maints exemples, pour ne citer que le combat de Jacob avec l’ange : le Créateur de toutes choses n’est pas impassible dans son ciel en attendant l’hommage des humains, il est exigence et tendresse, il entre en débat avec le peuple qu’il s’est choisi, et il entend son cri. Le Nouveau Testament est la signature, en Jésus le Christ, de ce Dieu-parole qui se donne à voir et même à « manger ». Pour autant, la question du mal n’est pas effacée : lorsque Jésus guérit les malades et ressuscite les morts, ce sont là des signes, des « signatures » de la vérité de sa parole qui invitent à entrer dans la confiance et dans l’espérance. Mais Jésus lui-même poussera le cri de la révolte sur la croix : « Pourquoi m’as-tu abandonné ? »
Nous entrerons à la fin de ce mois dans la période du Carême, où nous sommes invités plus particulièrement à méditer sur le mystère du mal et de la mort. Même si nous réalisons que nos malheurs, et les Psaumes en témoignent amplement, sont dans leur immense majorité le fruit de la méchanceté humaine et de la folie des hommes, il restera toujours une part irréductible de ce mal liée à notre finitude. L’Église elle-même n’a pas vocation à devenir une communauté de purs, qui par leur foi et leur sainteté de vie feraient échec au mal, elle est seulement appelée à être signe et témoin de ce qu’un « autre monde est possible ». C’est le sens de la résurrection : elle n’ « efface pas l’ardoise » puisque le ressuscité porte encore les stigmates de la croix, elle assume et dépasse la finitude, le malheur et la mort, pour nous inviter à l’ « invincible espérance ».
En octobre dernier, nous avons reçu une délégation de chrétiens du Proche Orient dans le cadre du centenaire de l’Action Chrétienne en Orient. L’une des tables rondes proposées à cette occasion portait sur le thème « Espérer en temps de crise ? ». Cette question se repose avec une acuité nouvelle dans la situation présente. À cette occasion, un pasteur d’Alep, ville syrienne à nouveau durement touchée par le tremblement de terre, déclarait : « L’espérance est un défi de survie. L’espérance est un instinct. Si vous l’avez, vous savez ce que vous avez à faire. ». Il savait de quoi il parlait, mais si l’espérance ne nous est pas donnée instinctivement, nous pouvons la puiser auprès de témoins comme ces chrétiens de Syrie, et surtout dans le Christ Jésus, espérance faite chair pour nous.