Pour le sens commun, une crise est un événement soudain qui vient troubler et bouleverser une situation jusqu’alors paisible. Il y a normalement un « avant » et un « après » crise. Or, à y regarder de plus près, nous sommes en crise sans discontinuer depuis près de 50 ans, notamment depuis le premier choc pétrolier de 1973. Durant ces deux dernières années, la pandémie à peine jugulée a été suivie par la guerre en Ukraine, sur fond d’aggravation du bouleversement climatique. Cette succession ininterrompue de crises devrait plutôt nous conduire à parler d’un monde de l’incertitude et de l’imprévisible. Or l’incertitude génère l’angoisse et la peur, et peut conduire à des réactions de rejet ou de repli identitaire, à l’exacerbation des nationalismes et des extrémismes religieux, comme nous l’observons un peu partout sur la planète. Nos Églises et nos paroisses n’échappent pas à ces phénomènes, et l’incertitude quant à leur avenir pèse sur leur moral, aggravée encore par la raréfaction des ressources humaines et financières.
Que faire alors ?
C’était la question qu’un homme a posé à Jésus rapportée dans l’Évangile de Marc 10,17 : « Que dois-je faire pour hériter la vie éternelle ? » On pourrait aussi dire « la vie en plénitude, la vie bonne, sans plus d’angoisse ni d’incertitude ». Et Jésus de lui rappeler les 10 commandements, que cet homme dit respecter. Alors Jésus « relève encore la barre » en lui demandant de vendre tous ses biens et de les donner aux pauvres. Devant cette exigence, les disciples eux-mêmes sont choqués : « Alors, qui peut être sauvé ? ». Je pense que dans cet épisode, Jésus ne veut pas faire de nous des super-héros de l’abnégation, vers un idéal encore plus exigeant que les 10 commandements, ni nous charger davantage, car il affirme aussi que son joug est doux et son fardeau léger.
Dans ce passage, il nous dit deux choses : d’une part, la Bonne Nouvelle du Royaume est exigeante, ce n’est pas un message à l’eau de rose, nous devons faire des choix et être au clair sur les priorités dans nos vies. D’autre part, face à cette exigence inatteignable (« Qui peut être sauvé ? »), il y a l’affirmation de Jésus que « tout est possible à Dieu ». On retrouve ici le « en même temps pécheur et justifié » de Luther. Et c’est là la source intarissable de notre espérance : nous ne pouvons que désespérer de l’humanité et de nos propres forces pour faire le bien, mais nous devons affirmer d’autant plus fort que tout est possible à Dieu. Les chrétiens ont donc – nous avons ! – un devoir d’espérance. D’abord parce que c’est la mission que le Christ nous confie aujourd’hui, et ensuite parce nous avons fait l’expérience de la fidélité de notre Dieu à travers les tragédies de l’histoire.
J’en veux pour preuve la récente célébration du centenaire de l’Action Chrétienne en Orient (ACO). Née dans le contexte tragique des suites du génocide arménien, l’ACO a invité à Strasbourg une trentaine de représentants des Églises protestantes du Proche-Orient, notamment de Syrie et du Liban. Dans la situation de chaos que vivent les chrétiens de ces pays, ils continuent de témoigner de leur espérance : non, le mal et la mort n’auront pas le dernier mot ! Certes, ils sont amenés à revoir beaucoup de choses dans leur manière de vivre l’Église et d’annoncer l’Évangile. Car comment dire que Dieu est amour et qu’il nous protège à des personnes qui ont perdu des proches dans un bombardement ? Mais ces chrétiens vivent dans l’espérance de Dieu qui nous ouvre un avenir. Il y a des deuils à faire, des pages à tourner pour que demain soit un jour où la paix et la justice s’embrassent !
Dans un contexte beaucoup moins tragique, nous avons nous aussi des deuils à faire, deuils de certaines formes de vie d’Église que nous croyions immuables, deuils de certaines structures ou bâtiments qui ne répondent plus aux nécessités du temps. La crise énergétique (encore une !) dans laquelle nous sommes va nous pousser à faire des choix dans nos priorités : investir pour nous mettre aux normes énergétiques si nous le pouvons, ou céder des bâtiments dont la charge est disproportionnée par rapport aux investissements nécessités. La récente AG de l’ESP nous a permis d’avancer dans les mesures à mettre en place pour rétablir une certaine équité dans les charges de chauffage des presbytères. Elle nous a surtout rappelé que l’argent et les bien matériels devaient être mis au service du message d’espérance que le Christ nous a confié.